Bonjour à toutes et à tous,
Vous êtes AMAPienne ou AMAPien, vous vous êtes probablement renseigné sur ce qu’est une AMAP, ou vous avez participé à des réunions, obtenu des informations en discutant avec nos producteurs.
L’AMAP est issue, comme vous l’aurez découvert, de la doctrine appelée « localisme », doctrine qui comme son nom l’indique consiste à privilégier tout ce qui est local mais avec le but de développer ce que l’on appelle la « démocratie participative » afin de ressouder la cohésion sociale et l’économie de proximité qui se délitent avec notre société de consommation et le contexte économique depuis des décennies, tout en préservant l’emploi et l’environnement.
Comme toute doctrine, celle-ci est le fruit d’un long processus de maturation, les racines sont à chercher au début du XXème siècle, dans les années 1920 pour être plus précis, mais c’est véritablement au cours des années 80 que l’impulsion la plus significative a été donnée en Occident, notamment aux Etats-Unis qui se sont elles mêmes inspirées d’idées et de concepts issus d’Europe, plus particulièrement des « food guilds » Suisses par exemple (rebaptisées depuis « Agriculture Contractuelle de Proximité).
Ces années 80 décidément fertiles en idées de tout genre ont également été à l’origine du développement de l’agriculture biologique qui fut en partie une réaction à la société de consommation en plein essor, après juste deux décennies, et qui n’avait pas encore produit le pire survenu lors de celles qui suivirent…
Ces fameuses années 80 ont vu les produits de l’industrie exploser avec les engrais, les désherbants (le fameux Roundup de Monsanto), les antiparasites (agent orange, D.D.T, l’Aldrine), permettant de décupler les productions afin de répondre à des besoins en constante expansion à des coûts les plus bas possibles.
A l’autre bout du monde, au Japon, pour des raisons similaires, un autre mouvement est né qui curieusement est resté local, il s’agit du « teikei« , car il n’y a jamais eu officiellement d’échange entre ce pays et l’Europe ou les Etats-Unis dans les années 1960, ni dans l’apparition des C.S.A (Community Suuported Agriculture) aux Etats-Unis comme cela est couramment affirmé dans nombre d’articles.
2 Septembre 1945, le Japon signe les actes de capitulation, s’ensuit un effort de reconstruction sans précédent pour un pays totalement exsangue en hommes et en ressources premières, grâce notamment aux Etats-Unis sans qui cela aurait été impossible ou bien plus long.
Le 8 Septembre 1951 le traité de San-Francisco signe le début de la paix officielle entre la Japon et les alliés qui met fin à l’occupation du pays avec son cortège de misère et de famines au début de l’occupation américaine.
Grâce au plan Dodge signé en 1949 (accord financier de 1,8 milliards de dollars pour permettre au Japon de retrouver son indépendance économique) à partir de 1952 le Japon commence à sortir la tête de l’eau, mais c’est la guerre de Corée qui donnera l’impulsion supplémentaire via les commandes en matériel militaire (véhicules surtout).
La balance commerciale du Japon passe de -794 millions de dollars en 1954 à -140 millions en 1959, puis devient excédentaire au début des années 1960.
C’est d’ailleurs dans les années 1960 que s’opère le fameux « miracle économique japonais », faisant du Japon la deuxième puissance mondiale !
La main d’œuvre japonaise par sa grande productivité, son sens aigu de la hiérarchie, alliées à une production de masse et de qualité, va permettre une croissance spectaculaire qui ne se démentira pas pendant près de 3 décennies, des années 1960 aux années 1980, avec un PNB croissant de plus de 10% par an !
La période 1960 à 1970 a été surnommée « boom Izanagi » (nom d’une divinité co-créateur du monde et du Japon).
Le puissant M.I.T.I (Ministère de l’Industrie et du Commerce Internationale japonais) jouera un rôle capital dans la gestion et la coordination des importations et des exportations, de même que la banque centrale Japonaise qui saura fournir des financements à taux attractifs.
Dès lors la société de consommation s’installe, tout comme en Europe et aux Etats-Unis, les machines tournent à plein rendement, les populations consomment en masse, les circuits de distribution voient le nombre des grandes surfaces exploser pour répondre à la demande, la santé s’améliore, la natalité est en plein boom, c’est le retour de la prospérité !
Mais hélas, tout à un prix, et si l’économie prospère, la santé et la durée de vie s’améliorent spectaculairement, la technologie apporte son lot de découvertes toutes plus innovantes en cette deuxième moitié du bouillonnant XXème siècle, la Nature fait parfois les frais de cette frénésie et le tableau idyllique commence à se couvrir de tâches…
Au Japon, l’événement qui servira de « catalyseur », c’est la découverte d’une pollution invisible qui s’est opérée insidieusement pendant des décennies dans une petite ville côtière située sur l’île de Kyushu avec l’oxyde de mercure utilisé comme catalyseur produit par l’usine pétrochimique Chisso à partir de 1932 à… Minamata !
Après 20 ans, les premiers symptômes apparaissent en attaquant le système nerveux (perte de motricité, réduction du champ visuel, altération de l’audition, troubles de la sensibilité, altération de la parole, troubles mentaux légers, etc….), et en générant de nombreuses malformations congénitales !
Le bilan est effroyable, après plus de 30 ans de pollution, de 1932 à 1966, ce sont plus de 13 000 personnes qui auront été plus ou moins touchées par la « maladie de Minamata », 900 personnes décédées et 400 tonnes de mercure déversées dans la Nature…
Plus pernicieux, la pollution liée à l’industrie et aux transports n’a pas encore fait parler d’elle, mais elle contribue également silencieusement à la détérioration de l’environnement, la prise de conscience n’interviendra que plus tard…
Pour l’heure, les premières maladies issues de l’usage des produits de synthèse commencent à se manifester auprès des professionnels, dans l’industrie mais également dans l’agriculture…
Cette catastrophe n’est qu’un des éléments de l’équation, il convient d’ajouter l’usage de quantités impressionnantes d’engrais, de fertilisants, d’herbicides et de pesticides pour doper les cultures, mais également les mutations qui s’opèrent sur la société de consommation notamment l’explosion des grandes surfaces qui font peu à peu reculer les petits commerces au détriment des multiples intermédiaires de la nouvelle chaîne de commercialisation.
Nous n’en sommes pas encore à l’explosion des nouvelles technologies de l’information et de la Communication (N.T.I.C) , mais on constate déjà un délitement du tissu relationnel qui s’était patiemment tissé pendant des siècles entre les producteurs (agriculteurs ou commerçants et artisans) et les consommateurs !
D’un rapport humain, on passe à une vaste toile anonyme où les interactions sont sans cesse plus brèves et où la rentabilité prend une place prépondérante.
Enfin, et c’est plus spécialement vrai au Japon, le boom Izanagi se traduit par une urbanisation galopante qui vide peu à peu les campagnes, une augmentation du trafic routier, l’apparition de la délinquance, et une explosion démographique sans précèdent qui explique d’ailleurs en partie l’ampleur de ce phénomène !
Pour un pays comme le Japon où la culture ancestrale reste profondément ancrée et le ciment de la famille, tout cela fait perdre les repères pour certains qui souhaitent préserver ces valeurs sans pour autant parler de nostalgie…
Tous ces facteurs et quelques autres encore, composeront le « terreau » où naîtra le système « teikei » qui en japonais signifie « partenariat / coopération / collaboration ».
Tout est dit !
En 1970, après de nombreuses réunions, naît l’Association Japonaise pour l’Agriculture Biologique, fondée par Ichiraku TERUO, et paradoxalement ce ne sont pas des personnes issues de l’agriculture qui composent majoritairement celle-ci, les profils sont très variés puisque l’on trouve des étudiants, des fonctionnaires, des scientifiques, des ingénieurs !
Cette association encadrera et dynamisera par la suite les groupes de teikei.
On retrouve les mêmes bases qu’évoquées en début de cet article, une relation directe entre le producteur et le consommateur, pas de contrôle bureaucratique, des prix compétitifs.
Le teikei est basé sur 10 principes tels que les a édictés Ishiraku TERUO et vous constaterez que ce sont ceux qui perdurent aujourd’hui dans nos AMAP :
- 1. Établir des liens cordiaux et créatifs, pas seulement des relations économiques
- 2. Produire selon une charte établie par les producteurs et les consommateurs
- 3. Accepter les produits proposés par le producteur
- 4. Établir un prix qui conviennent aux deux parties
- 5. Favoriser la communication afin d’assurer le respect et la confiance mutuels
- 6. Organiser la distribution, soit par les consommateurs eux-mêmes ou par les producteurs
- 7. Respecter la démocratie dans toutes les activités
- 8. S’informer sur tous les sujets concernant l’agriculture biologique
- 9. Maintenir un nombre d’adhérents suffisant dans chaque groupe
- 10.Progresser, même lentement, vers l’objectif final qui est d’instaurer l’agriculture biologique et l’écologie.
Il faut préciser qu’au Japon, la naissance de l’agriculture « moderne » est issue de la réforme agraire qui a eu lieu en 1946 et a été suivie par la « la loi fondamentale agraire » en 1961.
Les 3 caractéristiques des teikei sont selon les spécialistes :
- Le principe du respect du cycle de vie biologique et physique
- le principe de coopération entre producteurs et consommateurs
- le principe d’autosuffisance locale
Le deuxième principe constituera l’un des noyaux durs du développement des C.S.A (Community Supported Agriculture) aux USA et des AMAP en France.
Au Japon, il sera la base de la refonte de la relation qui s’était progressivement substituée à cette dernière du fait de l’apparition des nouveaux circuits de production et de distribution.
Ce que souhaitaient les précurseurs, outre le fait de faire prendre conscience que les problématiques sociales et environnementales découlaient de ces nouveaux schémas, c’était de faire voler en éclats le nouveau modèle imposé par l’acte marchand, celui où l’argent prédomine, où la position de force fait prévaloir l’issue de la négociation, au détriment de l’échange initial, vu plutôt comme une aide !
Bien évidemment, cette démarche locale il faut le rappeler, sans aucune aide de l’état, ne s’est pas opérée en un jour, il a fallu trouver ses marques.
Un exemple qui revient souvent dans les articles consacrés aux teiki et assez représentatif de cet empirisme est celui de la ferme de Kaneko Yoshinori à Ogawa.
En 1971, il décide de créer une « zone d’autosuffisance » fondée sur un principe de partenariat afin de restaurer le lien de confiance entre le producteur et le consommateur en produisant les meilleurs produits au coût le plus bas possible.
Pour lui il ne fallait pas mélanger ces produits avec n’importe quel autre, des couches culottes, des vêtements, etc..
La ferme a commencé en 1975 avec 10 « abonnés », des mères de famille essentiellement, auxquelles il assurait deux livraisons par semaine, essentiellement en riz.
C’était le résultat de ses calculs de production compte tenu de la surface de terrain de sa ferme.
Afin de recruter ses « abonné(e)s », il invitait les ménagères à rejoindre des cercles de lecture au sein desquels étaient abordés des thèmes comme « l’unicité du corps et l’environnement », « La valeur de la nourriture et les vertus diététiques du repas traditionnel japonais »…
Les « abonnés » devaient participer aux travaux agricoles, notamment le désherbage afin qu’ils découvrent la vie sur une exploitation, bref une façon pédagogique d’impliquer les consommateurs par la découverte active…
Le hic, c’est que quels que soient les niveaux de production, selon les aléas climatiques ou techniques, il fallait payer le même prix, de plus la cotisation était bien trop élevée par rapport à ce qu’il fallait payer en supermarché !
Des considérations politiques sont venues apportées le coup de grâce, mais elles sortent de ce contexte, et 25 mois plus tard, Kaneko dût abandonner…
Persévérant, tirant les leçons de son échec, exploitant une autre subtilité de la région, Kaneko est parti sur un autre modèle mais qui respectait toujours les principes de base, à savoir un lien direct, un partage et non une transaction monétaire.
Il s’agissait d’un modèle tout à fait original basé sur la… gratitude, appelé « oreisei » en japonais.
Dans ce modèle, ce sont les consommateurs eux-mêmes qui déterminent le prix des légumes, de même fixent-ils les dates auxquelles ils souhaitent être livrés !
Dans cette optique, le paiement est vu non pas comme un « juste prix », mais plus comme une forme de remerciement, un cadeau !
Comme évoqué un peu plus haut, il convient de préciser que ce modèle a été accepté facilement dans la mesure où dans ce village existe un autre système ancien dont l’origine est inconnue et qui veut que par exemple la famille de producteur A produise des tomates mais n’a pas le droit de produire des pommes de terre, la ferme B produira des pommes de terre mais pas de tomates et gardera la part de A, et réciproquement.
S’installe dès lors un système de troc ou de dons qui ne lèse personne.
Ce fut la source d’inspiration de de Kaneko pour son système oreisei.
Au final, au delà du tabou évoqué ci-dessus, persistait la valeur fondamentale, l’esprit d’entraide, la préservation des liens communautaires, les valeurs humaines qui ont toujours existé depuis les premiers échanges.
Ce qui prime dans cette philosophie c’est de voir cette transaction non pas comme une valeur d’échange avec un prix, mais comme une valeur d’usage.
Le système de don n’instaure pas une division de la richesse, mais un partage.
Il fallut de longues années pour que le système soit compris et fasse des émules car longtemps Kaneko a été pris pour un ahuri !
Kaneko avait poussé très loin son idée originelle d’autosuffisance car il est parvenu progressivement à l’appliquer à l’ensemble de son exploitation.
Il a eu recourt bien évidemment aux énergies renouvelables, le photovoltaïque pour alimenter entre autre les clôtures contre les animaux sauvages, le compost par fermentation des… excréments humains et les eaux usées envoyés vers une usine de biogaz, un système en circuit fermé pour la production de méthanol, des fertilisants liquides pour fumer les terres, un tracteur fonctionnant aux huiles de récupération, une chaudière au bois pour chauffer le sol et son eau chaude, etc…
Ce qui a fait la force des teikei, c’est donc le fait de favoriser une agriculture locale , à dimension humaine (30 à 100 familles locales en règle générale) cultivant des légumes très variés, parfois jusqu’à 80 sortes différentes, la mise en place de systèmes complexes de rotation des cultures qui ont par la même occasion permis de conserver la diversité naturelle disparaissant autrement avec les monocultures intensives ou l’usage des hybrides.
Le circuit court résout les problèmes de pollution liés au transport des marchandises parfois situées à l’autre bout du monde, les coûts liés aux emballages, au marketing, disparaissent également, l’autosuffisance ancestrale s’instaure.
Qu’en est-il des teikei aujourd’hui ?
Depuis qu’ils ont été créés ceux-ci ont toujours gardé leur autonomie vis à vis de l’Etat, du monde des affaires, il n’y a jamais eu de contrôles contraignants, de normes castratrices, mais hélas, avec l’expansion prise par la production bio, le gouvernement ne peut plus considérer ceux-ci comme une production marginale, des lois rendent dorénavant obligatoires les contrôles, le respect de normes édictées par un organisme officiel sous peine de ne plus pouvoir arborer le label « biologique ».
Mais ce qui pose problème, c’est que la plupart des normes sont reprises sur celles appliquées en Europe ou aux Etats-Unis, pour des climats qui ne sont absolument pas assujettis à la mousson des pays asiatiques, les frais d’inspection et de certification menacent de remettre en cause le fragile équilibre économique créé et les prix raisonnables risquent de subir une flambée néfaste…
Ceci pourrait à terme signifier la fin d’un modèle original car en voulant substituer un contrôle de l’Etat à une confiance et un engagement qui étaient tacites, on brise cette saine relation.
Peut-être est-ce la goutte d’eau de trop sachant que ces dernières années, du fait de la croissance urbaine, les consommateurs se sont petit à petit groupés en coopératives de consommation commercialisant les produits issus de l’agriculture biologique et la catastrophe de Fukushima a également apporté son lot de scandales et de remises en question pour les agriculteurs qui ont tenté de vendre leurs produits…
Le temps où les teikei représentaient 1 foyer sur 4 semble (environ 16 millions de personnes) révolu…
Nos AMAP qui ont dû très tôt faire face à une partie des problématiques évoquées (nonobstant la catastrophe de Fukushima) ont su trouver leur voie, il est vrai qu’historiquement l’agriculture a gardé une place prépondérante et les contraintes tant géographiques que climatiques ne sont pas les mêmes !
Cette filière relativement jeune, car il faut le rappeler, le mouvement est né chez nous en 2001, ne représente aujourd’hui en France « que » 4 milliards d’euros pour une part d’un peu plus de 2,5% de l’ensemble de la consommation des ménages français dans l’alimentaire, mais c’est un formidable maillage plus de 1 600 AMAPs qui approvisionne un peu plus de 50 000 familles, soit environ 200 000 personnes, en constante progression…
Le Webmaster.
Sources :
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Localisme
- https://gc.revues.org/2900
- http://www.japoninfos.com/Les-Teikeis-au-Japon.html
- http://ourworld.unu.edu/en/field-trip-to-an-agroecological-teikei-family-farm
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